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Titel
Zwischen Glanz und Elend. Städtische Elite in Freiburg im Üchtland (18. Jahrhundert)


Autor(en)
Binz-Wohlhauser, Rita
Erschienen
Zürich 2014: Chronos Verlag
Anzahl Seiten
336 S.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
François Walter

Incontestablement, ce livre comble une lacune. Il manquait à l’historiographie fribourgeoise de l’Ancien Régime, période passablement délaissée depuis une trentaine d’années, l’étude dont disposent déjà depuis longtemps la plupart des villes-républiques suisses, à savoir une solide prosopographie de ses élites dirigeantes. Issu d’une thèse de doctorat soutenue en 2012, ce livre se plie aux lois du genre, non sans une certaine lourdeur par ses passages obligés, méthodologie et état de la recherche. En voulant montrer qu’elle connaît bien toute la littérature scientifique, l’auteure s’expose à la critique. Il serait facile et peu élégant de pointer les lacunes, voire le manque d’ouverture aux problématiques les plus novatrices. En effet, l’approche retenue reste assez traditionnelle et donne une vision quelque peu figée de la société ancienne par son obstination à considérer le groupe étudié comme un monde clos sur lui-même. L’objectif est de mettre en évidence les mécanismes de la distinction sociale, mobilisés par les lignages afin de se maintenir au sommet de la pyramide, ou, dit autrement, d’être et de rester quelqu’un. Le choix de décrire la structuration et la reproduction des privilèges de la classe dominante contraint à reconstruire minutieusement les réseaux de parenté et les coïncidences d’intérêts que favorisent les stratégies familiales.

Bien structuré en une dizaine de chapitres, le propos ne néglige pas les informations utiles à se familiariser avec le fonctionnement des institutions anciennes ainsi qu’avec les subtiles différences de statut à l’intérieur de la caste privilégiée. Les arcanes de la juridiction d’Ancien Régime restent passablement compliqués. Décrypter les moyens d’acquérir le droit de bourgeoisie ou le fonctionnement des fidéicommis (ou substitutions) qui empêchent les partages et assurent la continuité de la fortune héritée est déjà méritoire. Un peu moins d’une famille sur cinq recourt à de tels dispositifs juridiques, contrôlés par le Conseil.

Les différents chapitres permettent successivement de suivre les stratégies matrimoniales, les niveaux de richesse, les carrières, les formations et les manières de tenir son rang. Peu problématisé, ce plan ne donne pas suffisamment de visibilité aux mouvements, aux conflits, aux configurations mouvantes, et aux négociations permanentes qui érigent les acquis sociaux en autant de ressources aptes à servir des stratégies de pouvoir, aussi bien dans les familles qu’à la tête de l’Etat.

L’auteure suit les destins de 105 familles formant ce qu’elle dénomme «Positionselite», pour éviter les ambiguïtés des termes habituels de «patriciat», «bourgeoisie secrète» ou «bourgeois privilégiés». Parmi ces lignages, 67 familles sont représentées au Conseil en incluant celles agrégées après les troubles du début des années 1780.

L’analyse des ressources de cette élite est probablement biaisée par le choix de considérer surtout la contribution imposée en 1798 aux «ci-devant oligarques», au demeurant le seul document qui permette d’approcher globalement la classe dirigeante. Or, d’autres historiens – pas forcé-ment cités par l’auteure – ont montré à quel point la contribution révolutionnaire sous-estime les fortunes et notamment les actifs financiers (revenus de capitaux) sans tenir compte non plus des pensions du service étranger. En effet, la base matérielle sur laquelle repose le pouvoir social n’est sans doute pas uniquement la possession de biens-fonds. Pourquoi ne pas accorder par exemple plus d’importance aux activités commerciales de l’élite, notamment la spéculation sur les pâturages de la Gruyère où se fabrique le fromage? Nous sommes pourtant à l’apogée de l’économie alpestre. Pourquoi ne pas avoir étudié la politique d’acquisition foncière pour mettre en évidence le mécanisme de grignotage progressif de biens fonciers par le fonctionnement du couple crédit/garantie hypothécaire? Le crédit et l’écono-mie de la litigiosité qui lui est consubstantielle sont une composante essentielle des mécanismes d’ascension sociale. Et la présence des familles dans leurs résidences d’été aux alentours de la ville, bien documentée pourtant, devrait permettre de suivre le développement des liens de clientélisme, qui se ne se bornent pas à des mécanismes de patronage au sein de l’élite (par exemple l’appui aux carrières militaires).

Plus convaincants s’avèrent les chapitres sur les stratégies de maintien du capital social. Les sources multiples et souvent arides que connaît parfaitement l’auteure laissent entrevoir la vie au sein des famil-les et leurs tensions. Les mariages en sont le prétexte. Le clientélisme érigé en mode de fonctionnement explique que 72 % des unions sont conclues sur le marché matrimonial local au sein même de l’élite dirigeante. Finalement, ce n’est qu’une minorité qui trouve l’âme sœur en dehors de la bourgeoisie privilégiée. Loin d’idéaliser un statut économique fréquemment associé à celui de rentier aisé, vivant du rendement de ses terres et des revenus du service étranger, Rita Binz-Wohlhauser révèle au contraire des situations économiques délicates, notamment pour les femmes seules et les veuves. Elle démontre aussi que la contrainte de tenir son rang conduit à l’endettement de nombreux lignages. Tout en nuance, le chapitre sur les mandats administratifs souligne la spécificité de Fribourg par rapport aux autres cités-républiques. Ici, la présence au Conseil n’est pas absolument valorisée (comme c’est le cas à Berne ou Genève) et, de manière très pragmatique, on hésite entre le prestige des hautes charges et la rentabilité de certains mandats baillivaux.

En revanche, la partie concernant le pouvoir immatériel est nettement moins maîtrisée. On notera de beaux paragraphes sur les recrutements des ordres religieux féminins au sein de l’élite et sur les rites funéraires, ainsi que le constat désabusé, énoncé par les intéressés eux-mêmes, de la manière condescendante dont la noblesse européenne les estime. Lors de leurs séjours à l’étranger (à Vienne notamment), les fils des grands lignages fribourgeois sont perçus comme des bourgeois mal dégrossis, la conviction étant que la Suisse n’est habitée que par des paysans! Cependant, dans ce domaine, l’étude de Mme Binz-Wohlhauser manque d’audace. Dom-age qu’elle ait ignoré, parmi d’autres, la thèse publiée en 2011 par Marco Schnyder sur les élites de Lugano et Mendrisio, exemplaire à bien des égards et plus à jour concernant la recherche récente. En effet, on ne peut pas se limiter à constater le privilège de porter lanterne à proximité du Saint-Sacrement lors de la procession de la Fête Dieu. Il existe d’autres confréries et confraternités et autant de querelles de préséance et de pratiques ostentatoires. L’appartenance aux corporations n’est pas non plus évoquée et l’on cherchera en vain des développements sur certains aspects complexes du clientélisme pourtant récemment renouvelés par l’historiographie, par exemple la question des parentés spirituelles, soit le choix des parrains et marraines de baptême. Le lecteur souhaiterait pénétrer dans les maisons où vivent les patriciens influencés par la mode à la française, amateurs de tableaux et de li-vres: on voudrait en savoir plus sur les bibliothèques comme sur les collections artistiques, les sources doivent le permettre. Outre la recherche par les notables des titres nobiliaires (processus très ambivalent à Fribourg puisque les nobles sont ostracisés jusqu’en 1782), il faudrait suivre la trame des legs et donations à des fondations, bon observatoire du besoin d’éternité qui doit aussi animer les plus aisés. On attendrait plus de l’examen des pratiques pieuses destinées à assurer la visibilité des familles dans les églises.

Se confiner au 18e siècle au sens étroit, négliger par conséquent le processus de formation du patriciat au 17e siècle et éviter les remises en question de la période révolutionnaire ensuite, n’est probablement pas la méthode la plus pertinente pour mettre en évidence les dynamiques de l’«aristocratisation» des élites au pouvoir, même si l’auteure a raison de dénier au concept une totalité explicative qu’il n’a pas. Mais malgré ce choix discutable, le propos réussit à échapper à une conception monolithique du patriciat pour revaloriser le rôle du local et des particularismes. Le lecteur s’aperçoit au final que la thèse de Rita Binz-Wohlhauser a redéfini le rôle des élites patriciennes et de la noblesse dans un système républicain. On découvre le fonctionnement d’un système basé sur l’élasticité, la plasticité, la ductilité de ses composantes. Au-delà des multiples exemples qui révèlent les spécificités des familles et leur forte hiérarchisation interne, le principal acquis de cette recherche est de souligner que ce que l’on continuera à appeler par commodité le patriciat fribourgeois est en réalité un amalgame de situations familiales et sociales très différenciées. En suivant plus d’une cinquantaine de lignages pour lesquels elle disposait de sources suffisantes, l’auteure a réussi à reconstituer des réseaux familiaux. On regrettera seulement que la multitude de cas individuels laisse quelque peu dans l’ombre les rôles sociaux et symboliques d’élites pourtant conscientes de leur importance et de leur dignité. L’idéologie de corps qui les motive à «servir» l’Etat n’est pas qu’une fiction; l’éthique de la responsabilité, si déconcertante pour nos sociétés matérialistes, mériterait la déconstruction. À vouloir éviter à tout prix des généralisations hâtives, l’auteure perd un peu de vue les grandes lignes de l’interprétation.

Zitierweise:
François Walter: Rezension zu: Rita Binz-Wohlhauser, Zwischen Glanz und Elend: Städtische Elite in Freiburg im Üchtland (18. Jahrhundert), Zürich, Chronos Verlag, 2014. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Religions und Kulturgeschichte, Vol. 108, 2014, S. 556-558.

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